Comme le ciel, l’eau peut se parer de mille couleurs. Le matin ne ressemble pas au soir et le printemps produit des teintes très différentes de celles que nous réserve l’été. On peut donc répéter à l’envi les promenades au bord de la rivière sans jamais se lasser. Par chance, tous les cours d’eau de plaine n’ont pas été rectifiés par les machines des hommes et certains ont pu conserver leur aspect sauvage. Ainsi, l’Ill se plait à flâner et remanie ses méandres au fil des crues saisonnières. Les peupliers noirs qui la courtisent finissent par perdre la vie, minés par cette belle ingrate. Leurs cadavres massifs jonchent les berges et mettront plusieurs années avant de disparaître du paysage, remplacés par une nouvelle vie adventice qui se miroite dans la rivière. En ce mois de mars, c’est une course contre la montre qui est lancée en sous-bois. Avant que les frondaisons des arbres ne soient complètement couvertes de feuilles, la corydale creuse, la violette odorante ou la fière primevère se délectent des rayons du soleil et s’épanouissent en bandes. Les arbres eux-mêmes rivalisent d’ingéniosité pour produire les inflorescences les plus curieuses et raffinées. Cette symphonie où dominent les cuivres se reflète dans l’eau, pour le plus grand bonheur de ses occupants, harles bièvres et autres canards colverts. Au fil des semaines, l’Ill retrouvera peu à peu des teintes plus vives et moins florales.
Baldersheim, le 26 mars 2022
